Mardi, au lendemain de la proclamation des résultats de la présidentielle du 31 octobre, les principaux leaders de l’opposition ont vu leurs résidences encerclées par la police.
Maurice Kacou Guikahué pose devant une vieux portrait peint d’Henri Konan Bédié. L’ancien président, la moustache bien taillée, trône dans un complet bleu. Son calme olympien et son visage figé contraste avec le sourire un peu forcé et les traits tirés du secrétaire exécutif du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI).
Depuis 13H30 GMT, ce mardi 3 novembre, plusieurs cargos de CRS et du Groupement mobile d’intervention (GMI) bloquent l’accès à la résidence de Bédié. À leur arrivée, les partisans de Bédié postés à l’entrée %u2013 ils étaient une centaine %u2013 ont bien tenté d’ériger des barricades. Ils ont rapidement été dispersés à coup de gaz lacrymogène par les forces de l’ordre. Depuis, une sorte de blocus est imposé.
« C’est un grave recul de notre démocratie. Henri Konan Bédié demeure engagé à effectuer sa mission de salut public en qualité de président de Conseil national de transition », dénonce Guikahué.
Quartier bouclé
Il est 15h, le quartier est bouclé et à l’intérieur de la résidence règne comme un climat de veillée d’armes. Outre Guikahué, il y a une dizaine de cadres du PDCI, deux avocats du parti (Me Emile Suy Bi et Me Jean-Chrysostome Blessy), des membres de la famille de Bédié (sa femme, mais aussi une nièce et trois de ses petits enfants), des éléments de la gendarmerie assurant sa sécurité en sa qualité d’ancien président, et une dizaine d’hommes vêtus de noir et armés de kalachnikov.
Alassane Ouattara a-t-il décidé de procéder à l’arrestation de son ancien allié ? Vise-t-il certains de ses collaborateurs ? Fait-il monter la pression après que l’opposition a annoncé la création d’un Conseil national de transition (CNT) ? Les questions fusent, personne n’a la réponse. Certains s’attendent toute de même à ce que la maison soit prise d’assaut.
« Cette déclaration ainsi que les violences perpétrées suite au boycott actif constituent des actes d’attentat et de complot contre l’autorité de l’État et l’intégrité du territoire national. Ces faits sont prévus et punis par la loi pénale », avait déclaré un peu plus tôt le ministre de la Justice, Sansan Kambilé, en annonçant que le gouvernement avait saisi le procureur de la République afin que soient traduits devant les tribunaux « les auteurs et les complices de ces infractions. »
Dans les rues avoisinantes de ce quartier de Cocody abritant de nombreuses domiciles d’ambassadeurs et de personnalités (comme celle de l’ambassadeur de France ou de l’ancien président burkinabè Blaise Compaoré), un embryon de résistance tente de s’organiser.
Gaz lacrymogène et pneus brûlés
« Ils vont arrêter le président », s’alarment quelques dizaines de jeunes. Ils essaient de s’approcher par une petite ruelle mais la gendarmerie pointe rapidement le bout de son nez. Continuer ou replier ? La troupe hésite, avance les bras en l’air avant de prendre la poudre d’escampette dans un nuage de gaz lacrymogène. « Ouattara veut nous tuer », crie l’un d’entre eux. « Il n’est pas ivoirien. Aucun Ivoirien n’oserait faire ça », lâche un autre.
Un peu plus loin, un autre groupe a monté une barricade sur le carrefour, rapidement détruite par une unité de la gendarmerie. Les manifestants se replient, des pneus brûlent à une autre intersection. Là encore, les gaz lacrymogène dispersent les plus téméraires.
Intervention chez Bédié
Avant 17 heures, les forces de l’ordre pénètrent finalement dans l’enceinte de la résidence du « Sphinx de Daoukro » et, après quelques minutes de discussions, font leur entrée dans la maison. « Un policier a tenu à se rendre dans la chambre de Bédié. Ils ont ensuite annoncé qu’ils emmenaient avec eux toutes les personnes qui ne résidaient pas habituellement dans la maison », explique un témoin de la scène.
Selon nos sources, le personnel de maison de l’ancien président (un cuisinier, un maître d’hôtel, une blanchisseuse) ont été conduits à la préfecture de police avant d’être rapidement relâchés. Le sort de certaines personnalités du parti demeure toutefois incertain.
Une source policière assure que « tout le monde a été raccompagné à son domicile ». « Nous n’avons voulu arrêter personne. Mais le simple fait d’organiser une conférence de presse au nom de ce Comité national de transition constitue un délit. Il fallait l’empêcher. Il ne peut pas y avoir deux Républiques », affirme une source policière.
Phase de durcissement
Mardi, à la nuit tombée, Henri Konan Bédié était toujours placé en résidence surveillée, comme plusieurs autres membres de l’opposition, tels que Assoa Adou ou Albert Mabri Toikeusse. Pascal Affi N’Guessan a, quant à lui, quitté son domicile.
Ces derniers mois, le climat politique s’était peu à peu durci. Il a cette fois-ci brusquement basculé. Alors qu’Alassane Ouattara avait été déclaré vainqueur avec 94,27 % des suffrages d’un scrutin largement contesté et perturbé par de nombreux incidents, l’opposition avait annoncé ne reconnaître ni les résultats ni l’autorité du président. Malgré des divergences de point de vue avec Laurent Gbagbo, le PDCI et ses autres alliés planchaient sur la formation d’un gouvernement de transition.
Lundi soir déjà, des grenades assourdissantes avaient été lancés devant les domiciles de plusieurs de ses responsables.
« On est dans une phase de durcissement. Le chef de l’État estime que les opposants font de l’intimidation et qu’il faut répondre avec fermeté », explique un de ses proches.
source : Jeune Afrique | auteur : Vincent Duhem